Accueil Brèves Plan du site Contact Admin


COLISEE Articles
comité pour l’information sur l’Europe de l’Est
   
 
 
[ Imprimer cet article ]


Géorgie : une langue nationale en péril depuis plusieurs millénaires


lundi 10 juillet 2006, par Mirian Méloua

Au cours de trois, peut-être quatre millénaires le péril des invasions a menacé l'existence de la langue géorgienne. Le XXIème siècle voit apparaitre un péril au moins aussi grave, l'émigration économique : elle s'accompagne d'un risque d'intégration des secondes générations et d'un risque d'oubli de la langue maternelle.

Les origines de la langue géorgienne relévent de l'enigme tout comme celles du peuple géorgien lui-même.

Plusieurs hypothèses relatives aux origines des Géorgiens ont été avancées, sans convaincre vraiment :
-  égyptienne selon la légende reprise par Hérédote au Vème siècle avant JC, développée par le détail pour les Colches (habitants de la future Géorgie occidentale, la Colchide) et évoquée pour les Saspères (assimilés aux habitants de la future Géorgie orientale, l'Ibérie),
-  espagnole selon la légende reprise par Mégasthène au IIIéme siècle avant JC, liant la péninsule ibérique aux Ibères du Caucase Sud,
-  en provenance d'Asie Mineure d'après certains récits bibliques (les Tubals des 2ème et 1er millénaires avant JC) ou d'après certaines études des XIXéme et XXéme siècles (les Hittites et les Subares, les Summériens de Mésopotamie au 2éme millénaire avant JC) rapprochant les Sapères, les Tubals, les Subares, les Ibères et les Ivères.

Plusieurs hypothèses ont également courru concernant la parenté de la langue géorgienne avec le basque, l'étrusque, le hittite, la langue d'Ourartou ou le summerien, toujours sans convaincre.

La langue géorgienne et les langues caucasiques.

La langue géorgienne appartient au groupe des langues caucasiques subdivisé en langues caucasiques du Nord et du Sud.

Le sous groupe des langues caucasiques du Sud, appelées aussi langues kartvéliennes (1), se serait formé à partir d'une souche commune datée du 3ème (ou du 2ème) millénaire avant JC et aurait donné naissance au VIIème siècle avant JC
-  au mingrélien,
-  au laze (ou tchane),
-  au svane,
-  au géorgien.

Le géorgien ancien fut utilisé jusqu'au Moyen Age, puis aurait évolué pour aboutir au géorgien moderne. Un certain nombre de dialectes s'y rattachent. Le groupe oriental comporte le kartlien, la kakhétien, le khevsour, le pchave, le touchétien, le mokhève, le mtioulo-goudamakar. Le groupe occidental comporte le ratchien, le letchkhoumien, l'imérétien, le gourien, l'adjare et le meskhète. Hors territoire contemporain de la Géorgie, les dialectes inguiloï en Azerbaïdjan, imerkhève en Turquie et phéreïdan en Iran appartiendraient à la racine géorgienne.

La structure grammaticale complexe de la langue géorgienne l'a protégé de toute assimilation, même si les contacts avec d'autres langues lui ont permis de bénéficier d'emprunts et de pourvoir à des prêts linguistiques.

Les similitudes entre la couche lexicale de la langue géorgienne et la couche de l'ancienne langue indo-européenne se retrouvent dans les domaines de l'élevage, de l'agriculture, des parties du corps humain et des chiffres. Les emprunts à la langue iranienne ancienne (Scythes, Alans, Ossètes, Parthes), moyenne et nouvelle sont patents, en particulier en terme de prénoms. La langue grecque a enrichi la langue géorgienne dans le domaine de la terminologie religieuse. Les emprunts aux langues araméennes (langue officielle de l'ancienne Ibérie), hébreu (zéti pour huile), assyro-babylonienne (targmani pour interprète), syrienne (koupri pour goudron), arabe (dava pour discussion), azerbaïdjanaise (tokhli pour agneau) et arménienne sont complètement assimilés. Plus récemment, aux XIXéme et XXéme siècles, les langues russes et anglaises ont apporté leurs lots de mots nouveaux et parfois de "doublons".

La langue géorgienne et les risques anciens

La langue géorgienne constitue certainement l'une des langues non indo-européennes les plus anciennes du monde. Sa disparition aurait pu se produire à toutes les époques,
-  l'antiquité : les contacts des anciens Ibères avec les civilisations asiatiques et ceux des Colches avec les civilisations méditerranéennes ont constitué un enrichissement de la culture kartvélienne, mais ils portaient le risque de sa désagrégation sur la durée,
-  les deux derniers millénaires : les monts du Caucase et les hautes vallées difficiles d'accès ont constitué des refuges devant les envahisseurs successifs, Mongols, Ottomans, Perses, Arabes, Russes, mais ils présentaient un risque fort de marginalisation et d'extinction.

D'aucuns estiment que la christianisation de cette région du monde, dès le IVéme siècle, sauva la langue géorgienne. La nécessité de transmettre les textes religieux conduisit au développement d'un alphabet géorgien ; les moines géorgiens le portérent à des dizaines de monastères en Palestine, en Egypte, en Syrie, à Chypre, dans les Balkans, à Constantinople et en Grèce. D'outil écclésiastique, la langue géorgienne devient l'un des ciments de la grande Géorgie du début du XIIIéme siècle, entrainant un phénomène de "reconvergence" des tribus kartvéliennes après la "divergence" que des siècles d'histoire leur avaient fait prendre.

Cette théorie de l'existence d'une langue souche kartvélienne initiale, se désagrégeant en langues et en dialectes différenciés et reconvergeant grâce au christianisme, a séduit de nombreuses générations de savants géorgiens et garde certainement de beaux jours devant elle.

La langue géorgienne et les risques contemporains

Au XIXéme siècle, la langue géorgienne contribue au réveil du sentiment national lorsque les élites géorgiennes entreprennent l'alphabétisation des populations dans leur langue maternelle. De 1918 à 1921, lors de la brève Ière République, les bases d'une culture et d'un enseignement restructurés en langue géorgienne sont jetées. Durant les dernières décennies du régime soviétique, la menace de russification rassemble une majorité de protestataires avec souvent l'accord tacite des officiels géorgiens.

Quinze années après la restauration de l'indépendance de leur pays, les Géorgiens, divisés sur les questions politiques et économiques, voient leur héritage culturel menacé. Parlée par moins de 3,5 millions de personnes sur le territoire géorgien, la langue géorgienne subit de plein fouet l'une des conséquences de la mondialisation, l'émigration.

Recherchant de meilleures conditions économiques, un million de Géorgiens auraient migré massivement vers les pays de l'ex-URSS à la faveur de leur connaissance de la langue russe, langue véhiculaire des années soviétiques.

Recherchant la modernité, les jeunes élites géorgiennes se forment dans les universités occidentales, espérant s'installer définitivement dans ce nouvel environnement à la faveur de leur connaissance de l'anglais, langue véhiculaire des années du libéralisme.

Le défi des autorités géorgiennes comme celui des autorités des autres pays en voie de développement reste entier, ou faire bénéficier leur pays des transferts de devises en provenance de l'étranger (équivalent annuel d'un quart, voire d'un tiers, du PIB pour la Géorgie) en laissant leurs concitoyens s'expatrier au risque de voir les secondes générations oublier leur langue maternelle, ou encourager les retours au risque de voir ces transferts de devises manquer à l'économie du pays.

L'expédition de chants polyphoniques géorgiens dans l'espace après que l'UNESCO les ait déclarés patrimoine de l'humanité en 2001, n'y change rien : la langue géorgienne est une nouvelle fois en péril. Quatre millénaires de culture kartvélienne pourraient s'éteindre sans crier gare.

(1) Kartveli signifie Géorgien en langue géorgienne. D'aucuns attribuent des liens étymologiques avec le nom des Chaldéens, Khaldou, appelés plus anciennement Chalibes.

(2) Source principale "La langue géorgienne" de Chota Dzidzigouri, Edition de l'Université de Tbilissi, 1970.

(3) Voir aussi

-  Géorgie : une école bilingue franco-géorgienne à Paris (2006)

-  Géorgie, bibliographie sur la langue géorgienne



[ Imprimer cet article ] [ Haut ]
 

 
 
  01. Le COLISEE
02. Albanie
03. Arménie
04. Azerbaïdjan
05. Biélorussie
06. Bosnie-Herzégovine
07. Géorgie
08. Kazakhstan
09. Kirghizstan
10. Macédoine
11. Moldavie
12. Monténégro
13. Ouzbékistan
14. Russie
15. Serbie
16. Tadjikistan
17. Turkménistan
18. Ukraine
19. Etats autoproclamés
20. Union européenne
21. Grandes régions d'Europe et d'Asie
22. Séminaires et conférences (Europe de l'Est)
23. Evénements (Europe de l'Est)
24. Offres d'emplois et de bourses (Europe de l'Est)
25. Thèmes transversaux
26. Les dossiers du COLISEE

Contact
 

 
 
Dans la même rubrique

Autres articles :
Géorgie et Russie : Merab Mamardashvili (1930-1990), philosophe
Géorgie : Egnaté Ninochvili (1859-1894), écrivain
Géorgie et Canada : Elena Botchorichvili, écrivain
Institut français de Géorgie : ouvrages français traduits en géorgien (2013)
Géorgie : Chota Roustavéli (1172-1216), poète médiéval
Géorgie et France : Gaston Bouatchidzé, universitaire, traducteur et écrivain
L'écriture géorgienne : naissance au IVème siècle afin de traduire l'Evangile
Géorgie : Chabua Amirejibi, opposant au régime soviétique et écrivain
Géorgie : Niko Nikoladzé (1843-1928), publiciste
Géorgie : Ilia Tchavtchavadzé (1837-1907), écrivain

 



© 2014 COLISEE